La “créolisation” est en bonne marche aux Comores. Ce n’est pas une exagération quand on voit le rythme inquiétant avec lequel les termes en shikomori sont substitués par ceux en français. En France, c’est la langue de Molière qui est pratiquée au sein de la plus part des familles de la diaspora. Au Maroc, les réunions de la communauté estudiantine se font obligatoirement en français.
Constat général
Le constat est flagrant ! La langue comorienne est en perdition. Il ne lui reste que quelques générations avant son extinction ! Et ce n’est pas une exagération quand on voit le rythme inquiétant avec lequel les termes en “Shikomori“ sont substitués par ceux en français. La “créolisation“ est en bonne marche aux Comores. En France, c’est la langue de Molière qui est pratiquée au sein de la plus part des familles de la diaspora. Au Maroc par contre, les réunions de la communauté estudiantine se font en français. Et de façon générale, dans les expressions en langue nationale, nous introduisons ou empruntons systématiquement et sans s’en rendre compte des mots français. Illustration par quelques phrases simples, mais il y’en a des milliers :
On ne dit plus, mais on dit :
Ngami kinyume nefikra yahaho, mais : Ngami contre neikra yiyo
Owanaziyoni ngwawona malezi mayi, mais : Owanaziyoni ngwawona comportement mbi
Yedje! Djawabu : ndjema ! Yedje!, mais : Djawabu : ça va!
Kazidja lingana nawe !, mais :Huni décévé !
Nifayiniye mdjimliso waho mwonano, mais : Nifanyiye compte rendu yahe réunion
Ngamhushangiriyo, mais : Ngamhu souténé
Yemifunguwo yaho mwango, mais : Yeze lakile zahomwango
Wandru ngwataambihawo, mais : Wandru gwa souffréo
Mdru taambiha honiwona yemfuraru, mais : Yiyo rare huni wona ye lundi
Hunipuwa ko lawulime, mais : Huni coupé ye parole
Ngamna shitaki!, mais : Ngamna porter plainte
Narihashirishe owandru, mais : Il faut ri sensibilisé owandru.
Ngamina nafasi hunu Maroc, mais : Ngamina ye liberté yahangu hunu Maroc
Kapvatsi uandilifu, kapvatsi mabadiliho, mais : Kapvatsi amelioration, kapvatsi changement
Ngayilazimuwu rike madhwamana, mais : Ngayilazimuwu rike ma responsable
Aujourd’hui, pratiquer certains termes comoriens est devenu aussi difficile que de parler une langue étrangère non maitrisée. J’imagine alors ce qu’il en sera pour nos enfants! Quelques mots français, par exemple, sont complètement assimilés à notre langue : parlement, députés, gouverneurs, présidence, ministère, trésor, service des migrations, banques, gendarmerie, police, agences, la justice, l’aéroport, les partis politiques, indépendance, l’école, la bibliothèque, le programme, la salle des cours, bureau de travail, plage, fête, etc. Il y en a des centaines. Et même si nos parents ou nos grands parents connaissent les mots d’origine, il n’est pas sûr que la jeunesse d’aujourd’hui et de demain les connaîtront. Les comoriens ne se rendent pas compte de la gravité, et de l’urgence à réagir.
Il faut réagir!
Aucune réflexion sérieuse sur cette question n’a été entamée, ni par les politiques, ni par les intellectuels, ni même par les étudiants. C’est d’autant plus inquiétant que le processus de disparition d’une langue est lent et non immédiat. Par conséquent aucune génération ne s’en sent responsable. Or une langue, c’est comme une fleur, si elle n’est pas entretenue, elle fane et meurt, certes discrètement, mais sûrement.
A ce propos, Jacques Leclerc écrivait ceci : “La mort d’une langue n’est pas subite, sauf dans le cas d’un génocide où l’on supprime plus ou moins instantanément tous les locuteurs de la langue. Le premier symptôme de la régression d’une langue apparaît quand un peuple commence à ne plus utiliser sa langue, quand il l’abandonne pour la remplacer par une autre qu’il estime plus rentable. Ce processus se déroule en des phases provisoires de bilinguisme variable mais de plus en plus généralisé“.
Ce phénomène de “créolisation“ s’est accéléré depuis ces deux dernières décennies à tel point que la population et plus singulièrement les cadres du pays n’arrivent plus à s’exprimer selon la psychologie comorienne, mais traduisent en comorien le texte français en mémoire. Nous sommes devenus tout simplement incapables de réfléchir en comorien ! Il est vraiment lointain le temps de Mbae Trambwe et de nos grands parents ; eux qui savaient si bien manier le shikomori dans sa diversité et dans sa richesse et pouvaient en exploiter les subtilités!
Pourtant dans la constitution des Comores, il est bien écrit dans l’article 1 alinéa 6 que : “Les langues officielles sont le “shikomori“, langue nationale, le français et l’arabe“. Malgré cela, nos dirigeants et nos politiciens continuent à prononcer leurs interventions en français dans les assemblées officielles, là où justement il fallait mettre notre langue en valeur. Le président de la République lui-même commence son discours en français quand il parle à la nation. Quand aux journalistes, peu d’entre eux font l’effort de parler correctement le shikomori. Leur rôle dans la diffusion de notre culture est primordial. Malheureusement la plus part des chansons qui passent dans nos médias dénature le shikomori et l’appauvrisse.
L’influence de la diaspora dans cette décadence est manifeste. Et pas qu’au niveau de la langue uniquement, mais plus globalement dans toute notre culture.
La jeunesse aussi a sa part de responsabilité. Elle est la force de l’avenir proche du pays. Elle doit donc penser à faire mieux que leurs prédécesseurs, et ne pas accepter cette déchéance.
Le bilinguisme banalisé contribue à une marginalisation de notre langue, et favorise sa complexité et par suite son abandon. Ceci étant, comme le précise Jacques Leclerc, “le bilinguisme ne constitue en soi ni une maladie ni une vertu, et il n’est jamais la cause de la disparition d’une langue. C’est simplement un moyen que prend un peuple pour changer de langue parce que la première ne lui apparaît plus utile“.
Le shikomori et la communauté comorienne au Maroc
Certains de nos compatriotes, non contents d’avoir malmené le shikomori vont jusqu’à l’interdire dans les cérémonies solennelles. C’est une langue réduite au cercle familial et amical.
Prenons l’exemple de la communauté estudiantine comorienne au Maroc. Celle-ci s’est organisée en une association (Acem) régie par un statut datant du début des années 1980, amendé et approuvé en 2004. Ce dernier, dans son article 3 des définitions, buts et principes de l’association, stipule que seul le français reste la langue de communication au sein de l’Acem. Ainsi dans ses réunions, le shikomori est strictement interdit.
Cet héritage, très surprenant par ailleurs, persiste jusqu’à nos jours même si beaucoup de voix s’y opposent et demandent une réforme de cette règle, jugée absurde et surannée. Ce qui n’est pas de l’avis des conservateurs, pour qui les motifs à l’application de cet article sont toujours actuels.
A l’occasion d’un débat sur le sujet dans l’une des Assemblées Générales de l’ACEM à Marrakech au mois d’octobre 2011, j’ai pu noter quelques explications avancées par des étudiants afin de justifier le bannissement du « shikomori » :
- Il est préférable de parler en français dans les assemblées générales pour contourner les variantes linguistiques entre les îles.
- C’est un moyen d’améliorer notre expression française car étant les futurs cadres du pays, nous devrons nous exprimer correctement et avec élégance,
- C’est plus facile de faire un discours en français qu’en comorien,
Conclusion
Ce constat a pour objectif de sensibiliser les gens à agir, à proposer des solutions pour sauver notre langue partout où l’on se trouve. C’est aux politiques, aux cadres, aux étudiants et aux sages de montrer la voie à suivre.
Nous avons la chance d’avoir une langue commune dans l’archipel, avec bien sur les variantes dans chaque île. Mais plutôt que de considérer cette différence comme un handicap, nous devons la voir comme une richesse pour notre patrimoine. Notre langue est belle et riche, valorisons la. Préservons notre héritage culturel pour les futures générations.
Par Salim Ahmed Ali, enseignant de physique à l’Udc
Journal Al-watwan N° 1903 du jeudi 16 février 2012.