Je mets ici la réponse que j'ai donnée à qu'un qui a écrit ceci sur le site palashiyo (http://www.palashiyo.org ) :
Je trouve cette idée très intéressante et j'espère de tout cœur que vous irez jusqu'au bout. Toutefois, je me demande si en grand Comorien on ne dit pas yemndru wola hafu au lieu de emndru ola hafu.
yemwana ngutseho au lieu de emwana ngutseho.
Bonne réception.
Cdt Mhoma
Et ma réponse :
Bonjour,
Vous avez en partie raison. Je dis bien en partie, car vous vous fiez uniquement à la prononciation. Vous êtes donc, sans le savoir, partisan de la notation phonétique. Or l'orthographe d'une langue ne peut pas se baser uniquement sur la prononciation phonétique. Ce serait trop complexe.
Dans une langue, la réalisation d'un son peut dépendre de son environnement. Pour ce qui concerne les voyelles, le comorien ne connaît pas d’attaque vocalique sauf dans quelques rares mots d’origine arabe (comme su’ala, Kur’ani) ou certaines interjections. On a donc tout à gagner en ne notant les sons « w » et « y » que dans les cas où ils sont nécessaires. Ceci est valable aussi bien pour le shiNgazidja que pour le shiNdzuani et les autres dialectes comoriens.
Dans l’exemple que vous avez cité, j’ai effectivement écrit « emndru ola hafu », mais il faut prononcer [yemndru wola…], car de toute manière la langue n’admet pas la prononciation [‘emndru ‘ola…] avec attaque vocalique.
En outre, cela facilitera l’énonciation de certaines règles orthographiques. Par exemple, considérons, en shiNgazidja, la conjonction ou préposition na (« et, avec »). On peut dire que la voyelle « a » de cette conjonction reste lorsqu’elle suivie d’une consonne, mais qu’elle est élidée lorsqu’elle est suivie d’une voyelle :
Hali ndrovi na mhogo « il a mangé de la banane et du manioc »
Mais
Hali endrovi n’omhogo « il a mangé la banane et le manioc »
Hadja na mwana « elle est venue avec un enfant (ou elle est tombée enceinte...) »
Hadja n’emwana « elle est venue avec l’enfant »
C’est ce qui se passe encore avec la particule d’emphase nɗa « c’est » : nɗami, nɗawe, nɗaye, nɗa zinu, etc où sa voyelle reste lorsqu’elle est suivie d’une consonne (ici, m, w, y, z). La voyelle de cette particule tombe généralement dès qu’elle est suivie d’une voyelle : nɗ’emwana, nɗ’ilo, nɗ’izo, nɗ’owana, etc.
C’est enfin un peu ce qui se passe en français avec les articles définis « le » et « la » qui conservent leur voyelle lorsqu’ils sont suivis d’une consonne, mais la perdent lorsqu’ils sont suivis d’une voyelle.
Exemples :
le chemin, la table
mais
l’éveil, l’école, l’image, etc.
Un autre cas où les sons « w » et « y » ne sont pas nécessaires dans la notation. Il s’agit du relateur -o qu’on rencontre dans la conjugaison au présent progressif. Considérons les verbes -soma « lire » et -fikiri « réfléchir ». Conjuguons-les à la première personne du pluriel. Cela nous donne :
ngarisomao « nous lisons »
ngarifikirio « nous réfléchissons »
Pourtant dans la prononciation, nous avons [ngarisomawo] et [ngarifikiyo]. Ce qui se passe, c’est que phonétiquement a+o = [awo] et i+o = [iyo].
Si on compare encore avec le français, nous avons quelques similitudes. Ex : baobab et biologie.
Enfin, là où les sons « w » et « y » sont nécessaires, il faut les noter. Pour mieux vous faire comprendre cela, considérons les verbes shiNgazidja -enɗa « aller » et -yela « se laver ». Vous voyez que dans le premier, il n’y a pas d’« y » alors que dans le deuxième, j’en ai mis un. Pourquoi ? Parce que ces verbes n’ont pas le même comportement quand on les conjugue :
tsenɗe, tsiyele
hwenɗe, huyele
henɗe, hayele
renɗe, riyele
mwenɗe, myele
wenɗe, wayele
Qu’est-ce qui se passe ? Pour le premier verbe, les voyelles « i » de la première personne du singulier et du pluriel et la voyelle « a » de la troisième personne du singulier et du pluriel tombent au contact de la voyelle du verbe. Tandis que la voyelle « u » des deuxièmes personnes se « labialise » (= se transforme en "w") au contact de la voyelle du verbe. Pour le deuxième verbe par contre, toutes les voyelles se maintiennent devant la consonne « y » du verbe -yela.
Pour me résumer, pour écrire une langue, il faut des règles orthographiques qui s’appuient sur les réalités intrinsèques de cette langue. C’est ce que j’essaie de faire et de proposer.
Ahmed Chamanga.